
Un Master MEEF Arts Plastiques
Le développement d'une pratique singulière et personnelle.
M'éloignant peu à peu de ce travail de famille et de mémoire, je m'intéresse de plus en plus à la photographie de corps, d'objets. À travers mes recherches, je souhaite garder cette notion d'archive et de collecte. À ce titre, je m'intéresse aux différents moyens plastiques de mettre en scène mes travaux dans un espace, pour créer une différence d'échelle entre l’œuvre, ce qui est représenté dans l’œuvre et le spectateur. Le gros plan, le recadrage sont les principales pistes dans ma pratique, oscillant entre modification numérique et photographie non modifiée.
Cette première partie est consacrée aux projets qui ont servit mes propos dans mon mémoire : Le rapport d'échelle & la perte du référent par le médium photographique.
LE CORPS DEVIENT SUJET PHOTOGRAPHIQUE
GUYADER Julie, Sans titre, 2021, quatre photographies couleurs. [Photographies ci-dessus]
Les artistes cherchent à représenter les corps liés aux canons esthétiques en relation avec les canons de beauté, entre harmonie et idéal de corps. Peu à peu, il va s’affranchir de cette représentation pour le défigurer, le fragmenter ou encore l'hybrider. Les traces et les gestes du corps deviennent perceptibles sur les toiles. Par la suite, le corps va devenir support et matériaux des œuvres, comme dans le body painting, les happenings ou encore les performances. Il n’y a pas que le corps de l’artiste qui va être mis à l’épreuve mais aussi ceux des spectateurs comme dans des œuvres immersives, participatives.
Réalisant des photographies illustrant des marques laissées sur le corps, mon propre corps. En utilisant le gros plan, je montre des cicatrices, des grains de beauté et les petits détails de la peau. On ne sait pas où se trouvent précisément ces marques. Les marques, comme les cicatrices révèlent notre histoire, notre vécu ; elles font partie de nous. Ici, je décide volontairement de les dévoiler au grand jour. Dans un dispositif de présentation relevant du projet, comprenant des tirages photographiques mesurant 1 mètre x 1 mètre chacune, j'aimerais exposer ces traces de façon monumentale. Créant un écart avec la réalité de ces marques, c'est-à-dire leur petite taille, approximativement quelques centimètres, à la taille d'exposition. Elles sont alors mises en valeur, grâce à leur taille de représentation. En effet, nous voyons alors des fragments de corps, mis en valeur, sublimés par la mise en scène. Le format démesuré joue comme un révélateur. J'ancre ce corps dans sa réalité concrète, dans sa réalité la plus immédiate et non pour sa fonction organique et utilitaire. Ce corps se vit au quotidien, il l'exprime y compris dans ce qu'il a de plus intime, telles ses marques.
Le spectateur se retrouve alors face à des fragments de corps, beaucoup plus grands que lui, à la limite de l’abstraction. Voyant et analysant les détails de la peau, les poils, les marques, les imperfections. Ils peuvent alors passer par plusieurs émotions. Peut-être la surprise tout d'abord, de se retrouver face à des images dites intimes, la fascination grâce à sa taille impressionnante et le dégoût de tous ces détails que je leur impose de voir
Pour ma part, le corps va être le sujet principal de mes photographies. De plus, c’est mon propre corps qui va faire l’objet de ces images.
LES OBJETS COMME SUJET
La place des objets dans l’art et dans les œuvres a longtemps été questionnée au sein des pratiques plastiques. La représentation de l’objet inanimé devient de plus en plus présent dès le XVIe siècle avec les natures mortes. Puis ils vont être détournés de leur fonction, mis en scène dans des installations.
GUYADER Julie, Pinceau, 2021, quatre photographies couleurs. [Photographies ci-dessus]
En effet, je décide de m'orienter vers des photographies d'archivage pour garder une trace de ce que je capture, des arrêts du temps. Jouant avec les gros plans, j'interroge également lors de leur installation, l'opposition entre la taille de base de mes sujets, des référents et leur exposition dans l'espace.
En ayant choisi le sujet du pinceau, je décide de créer une évolution dans les photographies, prenant le pinceau sec, mouillé, avec de la peinture et de nouveau sec. Grâce à un projet d’installations de photographies de taille monumentale (2m x 2m environ), je crée une mise en valeur de l'objet et non de la production qui est censée en découler (la peinture, le résultat). J'interroge la question du monumental dans l'art enfin sa conception que j'aimerais en faire, effectivement cela montre un écart entre les tailles réelles des pinceaux et leur représentation monumentale. Je retire le rôle et le statut de base du pinceau pour le sublimer et le mettre en valeur. Je réalise ici le même protocole pour chaque photographie en utilisant un fond blanc et le même cadrage serré sur une partie de l'objet. Ici, les photographies ne sont ni modifiées numériquement, ni recadrées.
PERTE DU RÉFÉRENT
Un référent, venant du verbe “référer”, peut se définir à un rapport à quelque chose et venant du latin referre voulant dire rapporter, porter sur, consigner sur. Le référent est quelque chose ou quelqu’un qui sert de référence, à laquelle on se réfère. La perte est l’action de perdre quelque chose ou quelqu’un, telle une disparition. On peut le définir comme le fait d’être privé de quelque chose que l’on possédait.
Le médium photographique va peu à peu s’affranchir de son rôle principal, c'est-à-dire comme moyen d’information : reportages, photographie publicitaire ou de mode. Les images vont devenir en quelque sorte autonomes, en questionnant leur matérialité, les matières photographiées. Les photographies deviennent alors objet d’art indépendant, se confrontant aux spectateurs dans leur présentation.
Dans ma pratique, c’est donc la perte du référent qui va être au cœur de mes photographies qui va être possible avec plusieurs paramètres. La perte du référent grâce au cadrage puis au recadrage va permettre d’accentuer le regard sur les lumières et les textures des sujets. Ce qui va permettre d’amener une autre représentation, une autre image par ces différents moyens. Le cadrage et le recadrage vont me permettre d’accentuer cette abstraction. Dans mon travail, ma réflexion sur le cadrage va se confirmer dès les retouches sur ordinateur, au moment de la visualisation des images. Permettant de choisir avec précision quelle partie de l’image gardée selon ses caractéristiques visuelles, selon les textures apparentes, les différents endroits lumineux ou non. Mon objectif est d’arriver à des photographies suffisamment abstraites pour laisser l’imaginaire du spectateur se développer.
PERCEPTION ALTEREE
D'après Étienne Souriau dans Vocabulaire d'Esthétique, la perception est définie comme :
« Fonction par laquelle les sensations provoquées en nous par les objets sensibles sont ressenties, organisées, interprétées pour nous donner une représentation de ses objets avec impression immédiate de leur réalité. On appelle aussi perception un acte particulier de cette fonction générale, et la représentation obtenue dans cet acte, son contenu »
Et l'altération comme :
« Modification assez profonde pour que l'objet qui la subit change de nature. »
Au fur et à mesure des prises photographiques, les images vont de plus en plus s’éloigner de la réalité pour permettre une perte de référent totale, notamment grâce à différents paramètres tels que le cadrage, le recadrage, à la lumière, aux textures pour peu à peu se diriger vers des photographies à la limite de l’abstraction. Une photographie dite abstraite est difficile à définir, puisqu’il s’agit d’une image visuelle qui n’est pas directement associée à quelque chose de réel, tel des objets.
Cadrage & recadrage
GUYADER Julie, Sans titre, 2021, photographie couleur, cadrage pendant la prise de vue. [Photographie ci-dessus]
GUYADER Julie, Sans titre, 2021, photographie couleur, après le recadrage numérique. [Photographie ci-dessus]
En jouant avec le cadrage et le recadrage en gros plan dans certaines photographies, j'incite le spectateur à porter son intention sur un motif, un sujet dominant dans la composition. On peut alors parler de mise en avant, de mise en valeur du sujet tout en cheminant vers une perte progressive du référent. Effectivement, en se rapprochant de plus en plus du sujet, comme pour avoir un contact avec celui-ci, il se perd. Il disparaît, se floute, se dévoile peut-être aussi... Le cadrage est souvent réalisé dans un premier temps pendant les prises photographiques, choisissant précieusement un angle de vue, un endroit du référent à dévoiler. Pour ma part, les cadrages varient selon le sujet photographié et selon mon intention finale. La mise en scène est précise et les cadrages multiples et généralement serrés. Les images en gros plan sont alors prises à une distance relativement courte entre l'objectif et le sujet. En allant vers un éloignement du référent, cela permet de révéler une autre image, d’aller vers l’abstrait. La perte de référent est présente dans de multiples domaines tels que la photographie, la sculpture, le dessin, il s’agit avant tout d’interroger le sujet et son image, jusqu’à la disparition, la perte totale de celui-ci.
Plus on se rapproche du référent, plus le spectateur va s'interroger, et entrer dans une recherche d’identification. Grâce à des logiciels, les visuels changent, évoluent en fonction de multiples modifications. Dans mon travail, la prise de vue et le cadrage est important, cela permet une première approche du sujet. Dans un premier temps, les objets seront mes principaux sujets, et en particulier des objets insignifiants, comme le chiffon du peintre : objet qui reste sur le côté, insignifiant voire invisible et non mis en avant. La mise au point est un travail nécessaire pour permettre un recadrage par ordinateur par la suite, allant par étape vers l’abstraction du sujet, interrogeant donc la perception du spectateur.
Dans cette photographie, mon sujet va être choisi pour sa pertinence. Effectivement, le chiffon qui est objet du peintre, permettant de nettoyer et étant destiné à être jeté, va être mis en avant par le biais de la photographie. La mise en scène va être précise, pour créer des reliefs, différents plans montrant une profondeur de champs. La mise au point, fixée sur le premier plan, permet une mise en avant de la texture du tissu et des tâches de peintures. Plus les plans s'éloignent, plus le flou est intense, accentuant cette profondeur. La mise en scène de l’objet est également importante, me permettant de créer des volumes. Grâce au recadrage, l’objet est de moins en moins reconnaissable, permettant aux spectateurs de s’interroger sur le sujet.
La lumière & les textures
Le rôle de la lumière reste une chose importante lors de la prise de vue photographique. Effectivement, si l'on s'intéresse à l'étymologie de mot « photographie », le préfixe « photo- » (φωτoς, photos : lumière, clarté) voulant dire « qui procède de la lumière », « qui utilise la lumière » et le suffixe « -graphie » (γραφειν, graphein : peindre, dessiner, écrire) « qui écrit », «qui aboutit à une image» nous montre bien le lien entre lumière et photographie. La source lumineuse peut être multiple : naturelle ou artificielle. La lumière et son rôle peuvent être différents selon l’intention de l’artiste, dans certaines de mes photographies, elle est essentielle pour découvrir et mettre en valeur différentes textures.
La lumière va être mise en relation avec les ombres et les contrastes. Ombre définie comme une zone sombre résultant de l’interception de la lumière ou absence de la lumière et les contrastes se définissent comme une opposition entre deux choses, dont l’une fait ressortir l’autre, et plus particulièrement comme une variation relative de l’éclairement d’une image lorsqu’on se déplace à l’intérieur de cette image. Je vais effectuer cette prise de vue avec une lumière artificielle, me permettant de choisir d’où se situe la lumière et quelle surface éclairer. Le choix de l’éclairage va être ainsi majeur dans ma prise de vue. J'aurais pu utiliser de la lumière naturelle, cela m’aurait obligée à dépendre d’elle, à choisir mes prises de vue selon l’intensité de la lumière et de ses effets sur mon sujet. Cela peut être un frein à la prise de vue. Mon choix a donc été porté vers une lumière artificielle, me permettant de maîtriser mes choix dans ma prise de vue. Comme les productions précédentes, le cadrage est un moment important dans la prise de vue, permettant de laisser place à une perte totale de référent. Sur cette image, il n’y a pas de retouche sur l’ordinateur à la suite de la prise photographique. Le sujet en devient un autre, grâce au cadrage, à la lumière et aux retouches. Chaque spectateur ne s'imaginera pas la même chose selon la vision qu’ils auront sur cette image. De plus, celle-ci devient pratiquement abstraite, elle montre plusieurs représentations possibles.
GUYADER Julie, Sans titre, 2021, deux photographies couleurs. [Photographies ci-dessus]
La lumière va ainsi révéler des formes précises du sujet, des contours, des creux, révèle des zones et en cache d’autres. Dans la pratique de la photographie, la texture ne sera pas physique mais plutôt visuelle, c’est-à-dire qu’elle sera perceptible selon l’image. Le spectateur sera alors invité, selon l’image, à deviner la texture du sujet photographié. Dans Sans titre, on peut voir que la lumière va mettre en avant des creux, comme des crevasses; mais aussi différentes matières, textures, tantôt lisse, tantôt rugueuses. En relation, les textures peuvent se définir par la qualité physique d’une surface, plus particulièrement son aspect extérieur. Celle-ci est directement liée à la matérialité, c’est-à-dire le caractère de ce qui est matière. Ces photographies ont d’abord été prises avec un cadrage spécifique sur le sujet avec de la lumière artificielle placée avec précision. Par la suite un recadrage par ordinateur à été réalisé pour être mis au format carré et pour permettre une vue encore plus rapprochée, une vision encore plus abstraite.
Il est d’ailleurs possible de réaliser plusieurs cadrages, comme dans Sans titre, qui va permettre de montrer différentes textures, selon différentes luminosités ou encore différentes surfaces du sujet.
INVITATION À L'IMAGINAIRE: TENTATION DE L’ABSTRAIT
Plus on se rapproche, plus on s'éloigne, tend de plus en plus vers l'abstrait. Dans la pratique de la photographie, la photographie dite abstraite laisse place à l’imagination et nous aide à se concentrer sur la texture et la couleur plutôt que sur l’ensemble d’un sujet. Dans la plupart des cas, elle ne permet pas d'identifier les éléments qui la composent.
Il y a une tension à utiliser la photographie pour montrer quelque chose d’abstrait, effectivement la photographie est un médium supposé enregistrer la réalité, ici je vais à l’encontre de cette réalité pour la rendre abstraite. Une photographie dite “abstraite”, est parfois appelée une photographie non objective, expérimentale ou encore concrète. Elle peut être définie comme une image, qui n’est pas directement associée à quelque chose de réel, comme des objets ou des personnes.
GUYADER Julie, Sans titre, 2022, série de photographies couleurs. [Photographie ci-dessous]
La déclinaison par la couleur
La série est une suite, une succession de choses de même nature, un ensemble généralement rangé dans un certain ordre ou réuni sous certains critères. La couleur est une sensation résultant de l’impression produite sur l'œil par une lumière émise par une source et reçue directement, mais aussi une substance, une matière colorante. Une déclinaison peut être définie comme une variante, une variation de quelque chose.
Dans Sans titre, je réalise une photographie en gros plan d’un fruit et plus précisément d’une banane. Comme mes précédentes photographies, je réalise un recadrage après la prise de vue, me permettant de m’éloigner encore plus du référent de base. Si le cadrage et le recadrage permettent dans un premier temps de concevoir une image abstraite, je me suis interrogée sur le rôle de la couleur dans la perte du référent. Permet-elle de créer un imaginaire chez le spectateur ?
Dans cette série, j’ai volontairement laissé la photographie d’origine parmi les photographies modifiées. Je me suis interrogée sur la place du spectateur, est ce que celui-ci peut reconnaître la photographie d’origine et plus précisément le référent ou peut-il au contraire voir tout autre chose. Ici l’original correspond à la première photographie. Il pourrait être intéressant dans ces productions de créer une multitude de déclinaison de couleurs, pour permettre de tromper le spectateur. Effectivement, le multiple et la répétition d’un même élément va perturber le regard de ceux qui les regardent.
Une limite à l’abstraction par le médium photographique?
Toutes ces réflexions nous ont permis de voir la définition d’une photographie abstraite et les différents moyens d’y parvenir. Les résultats des photographies abstraites relèvent généralement d’expérimentation. Celles-ci sont possibles grâce à l’argentique mais on laisse la place aux appareils numériques permettant une évolution de ces images et une amélioration dans les diverses technologies. Les artistes ne s'intéressent plus aux référents, aux modèles mais mettent l’accent sur les couleurs, les formes, la lumière.
On peut définir mes photographies faisant partie de la proxiphotographie, c'est-à-dire que je capture des sujets de petite taille, généralement en gros plan. On ne peut pas considérer mes photographies comme de la macrophotographie puisque celle-ci se définit par sa capacité à montrer ce qu’il serait impossible de voir à l'œil humain. De plus, les objectifs que j’utilise ne me permettent pas de définir mes photographies comme de la macrophotographie.
Ces deux catégories de photographies font partie d’un tout nommé la photographie rapprochée, comprenant également la photomicrographie. Celle-ci se définit par l’ensemble des techniques permettant de prendre des photographies à l’aide d’un microscope. Cette technique peut être couplée avec un appareil photographique permettant d’obtenir des images riches et détaillées. Ces clichés relèvent du domaine scientifique et d'éléments non visibles à l'œil humain. Puisque cela relève d’un rapprochement extrême vers un sujet, est-ce que ces photographies seront toujours abstraites peu importe le référent ?